Personal Project
Les racines de la plage de Mucuripe"
Les pêcheurs de la plage de Mucuripe vont-ils disparaître ?
En janvier de 2023, je suis allée à Fortaleza pour rencontrer les pêcheurs de la plage de Mucuripe pour un projet photographique.
Mon reportage photographique consiste à valoriser et sortir de l'ombre les pêcheurs de Mucuripe qui, malgré l'urbanisation récente, ont su garder leurs traditions.
J’ai avant tout commencé par discuter avec plusieurs pêcheurs de la plage de Mucuripe à Fortaleza, une ville de 2 687 000 habitants, pour mieux comprendre ce que signifie être pêcheur dans une grande mégapole?
Il y a quelques années j'avais déjà observé ces pêcheurs et je me demandais ce qui se cachait derrière leurs histoires et pourquoi ils continuaient la pêche traditionnelle sur cette plage.
Ce projet photographique est basé sur des rencontres et des témoignages.
Lors de mon échange avec Monsieur Claudio da Silva, 50 ans, fils de pêcheurs, il m'a raconté que son père l'emmenait à la pêche quand il était enfant et qu'il était devenu passionné par ce métier quand il a attrapé son premier poisson alors qu’il n’envisageait pas devenir pêcheur.
A cette époque, l'élite de Fortaleza méprisait la mer. "Il n'y avait pas d’immeuble ici uniquement des petites maisons de pêcheurs, souligne-t-il en me montrant avec tristesse l’environnement bétonné qui entoure aujourd'hui la plage de Mucuripe.
A partir de 1963, les Jangadas, petits bateaux traditionnels, ont été remplacés par la grande spéculation immobilière. Ils nous ont expulsé d'ici vers la colline (bidonville) et parfois même nous n’étions pas indemnisés. Notre maison était ici, aujourd’hui tout ce que nous reste, c’est une petite parcelle de sable blanc que nous devons partager avec des marchands qui s'y sont installés pour vendre des boissons, nourriture…nous n'avons rien contre les marchands, mais ils ne devraient pas être parmi les pêcheurs, cela nous dérange beaucoup, car nous sommes restreints dans l'espace, nous sommes chaque jour de plus en plus étouffés… Nous avons des bateaux à nettoyer, à peindre, les places sont très limités, si la marée monte, elle emporte nos bateaux.
Nous luttons toujours pour gagner notre pain de chaque jour, pour subvenir aux besoins de nos familles, ils doivent attendre que nous arrivions de la mer pour manger.
Quant à M.José Hamilto Severiano da Silva, 52 ans, pêcheur depuis plus de 30 ans, il me parle avec un air mélancolique de son enfance et évoque le triste moment où ils ont été contraints de quitter la plage. Les agents immobiliers sont arrivés ici et ont acheté le terrain où j'habitais en disant que ce serait une bonne affaire. Nous n'allions pas à l'école, nous ne connaissions pas nos droits , nous pensions que nous devions vendre ou nous serions expulsés par le tribunal.
Pour M. Emanuel 52 ans, j'ai toujours vécu ici, c'était une petite communauté de pêcheurs, les agents immobiliers ont acheté nos maisons, nos terrains à un petit prix .Ils ont construit des immeubles, aujourd'hui quand quelqu'un me demande où j'habite, je réponds que j'habite derrière cet immeuble bleu, en haut d’un bidonville.
Un autre gros problème est le changement climatique, beaucoup de pluie, des tempêtes nous empêchent d’aller à la mer.
Avant on partait et on revenait de la pêche le même jour, aujourd'hui on sait le jour que l’on part mais l’on ne sait jamais quand nous revenons.
je voulais aussi connaître leurs relations quotidiennes avec la mer, j'avais besoin de passer du temps avec eux. Je suis arrivée un dimanche à l ’improviste sur la plage de Mucuripe, et une grande majorité des pêcheurs étaient là, assis sur des chaises, à l'ombre d'un grand arbre.
J'ai demandé comment leur vie était rythmée?
On vient aussi ici le dimanche parce que c'est notre loisir, on regarde la mer, on ne se lasse jamais de cette énorme richesse qui fait partie de nos vies, on y tient beaucoup…
Même si on était millionnaire on sera là aujourd’hui car l'océan est notre plus grande richesse, c'est notre Père, notre Mère, alors même le week-end on vient ici, pour manger du poisson frit, prendre un verre de bière, de la cachaça… S'ils enlèvent le peu de qu’il nous reste, ce serait comme poignarder nos cœurs.
Les agents immobiliers nous ont expulsé loin d'ici, mais la plage de Mucuripe fait partie de notre ADN de pêcheur. C’est notre raison de vivre.
Tous les matins nous travaillons, réparons des bateaux, des jangadas, nettoyons, peignons, naviguons…, sans savoir jusqu'à quand ça durera ?